Contentieux des droits de l'homme
CEDH, H-F et autres c/ France, 14 septembre 2022
Contexte
N’en déplaise à Orelsan, il ne faut pas nécessairement faire le tour du monde pour avoir envie de rentrer à la maison. Deux femmes de djihadistes et leurs enfants, retenus dans les camps du nord-est de la Syrie, furent les sujets d’une décision majeure rendue par la Cour européenne des droits de l’homme, par sa Grande Chambre, le 14 septembre 2022.
En effet, la Cour a condamné la France (14 voix contre 2) pour violation de l’article 3.2 du protocole n°4 de la Convention européenne des droits de l’homme, lequel stipule que « nul ne peut être privé de rentrer sur le territoire de l’Etat dont il est ressortissant ». Cette décision fait suite au dépôt, devant la CEDH, de deux requêtes provenant des proches des familles (6 mai 2019 et 7 octobre 2020). L’examen des requêtes fut réalisé le 9 septembre 2021. Maître Marie Dosé représentait les requérants et Monsieur François Alabrune (directeur des affaires juridiques au ministère des affaires étrangères) représentait l’Etat.
Ainsi, il est intéressant de comprendre les aspects juridiques qui furent débattus et les conséquences plausibles.
Les interrogations autour de la voie de fait
Les juridictions antérieures à la décision devaient se prononcer sur la responsabilité de l’État quant à son inaction sur le rapatriement des familles. Selon les requérants, la voie de fait pouvait jouer en leur faveur. Cependant, la théorie des actes de gouvernement empêche les juridictions saisies de se prononcer sur les actions menées par l’État dans le domaine des relations internationales (ex : négociation avec des autorités étrangères) et se retrouve donc incompétentes. Par ailleurs, cette incompétence pour acte de gouvernement fut plusieurs fois prononcées, à l’instar du Tribunal Administratif de Paris, le 10 mai 2019 (n°1908601/9), concernant la vente d’armements. Ainsi, l’État ne pouvait être responsable du préjudice subi par les familles en Syrie, puisque la rétention ne provenait pas d’une décision de l’administration française, et que l’État ne peut être retenu pour responsable d’actes accomplis par d’autres États dans lesquels il n’exerce aucun contrôle effectif, y compris par le biais de ses agents. Son influence ne suffit pas à caractériser une quelconque responsabilité.
Seulement, selon la CEDH, l’immunité juridictionnelle des refus litigieux plaçait les requérants dans l’impossibilité de contester utilement des motifs retenus par les autorités et de vérifier que ces refus ne reposaient sur aucun arbitraire.
On rappelle que cette perspective de la CEDH, celle de l’inaction, s’inscrit dans une décision du 23 février dernier rendue par le Comité des droits de l’enfant des Nations-Unies, dans laquelle la France fut condamnée au motif d’avoir violé le droit des enfants français détenus en Syrie pour avoir omis de les rapatrier.
Vers un droit automatique à la réparation et/ou rapatriement
En prenant en compte les traitements inhumains et dégradants que les deux femmes et leurs enfants recevaient en Syrie, la Cour européenne des droits de l’homme a incombé à l’État français, de reprendre les examens des requérants dans les plus brefs délais et en l’entourant des garanties appropriées contre l’arbitraire. De ce fait, il est demandé à ce qu’un retour comme ceux que connurent les proches des familles en Syrie, puisse donner lieu à un examen individuel par un organe indépendant, qu’il soit juridictionnel ou non. En plus de condamner la France à 18 000 euros et 13 200 euros aux deux familles au titre des frais et dépens, il est intéressant de constater que chaque nouveau refus devra faire l’objet d’une nouvelle procédure d’examen, réalisée par un organe indépendant que Paris devra désigner, voire même créer à cet effet.
Il n’est donc pas possible de prétendre à l’imposition d’un droit automatique au rapatriement, mais plutôt à un renforcement des procédures permettant de trancher si celui-ci doit avoir lieu ou non. Ce litige concernait une grande opération de rapatriement depuis la Syrie, concernant 16 femmes et 35 enfants. Aussi, aucun critère ne fut publié pour savoir quel cas engendrait validation ou refus. Ce renforcement peut donc s’inscrire dans une lutte contre l’arbitraire étatique, mais surtout, à un devoir de transparence des missions dont la France est investie.
D’ailleurs, le 3 octobre 2018 (CE, n°410611), il s’en est fallu de peu pour que la décision de la CEDH puisse être un parfait complément. En effet, lors de la décision susmentionnée, il était admis que le non-rapatriement des harkis était une faute imputable à l’Etat, mais qui ne pouvait donner lieu à une réparation pour ceux qui demeuraient en Algérie. Seuls sont ceux qui avaient réussi par miracle à atteindre le sol métropolitain, eurent droit à une réparation. Peut-être cette décision risque-t-elle de tomber bientôt, au regard de ce que la CEDH vient de décider, afin de cumuler, un jour, renforcement des examens de rapatriement et possibilité d’indemnité en cas d’erreur de jugement de refus.
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